"Des hommes et des dieux" : un Caennais parmi les moines
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Pour ceux qui n'ont pas encore vu le film... C'est une image inscrite dans la mémoire collective de la France des années
90. L'image de 8 bonshommes souriants en robe de bure. Celle que tous les
journaux télévisés nous ont matraqué pendant plusieurs semaines
au début de l'année 96, juste avant que l'on apprenne que ces 8 moines avaient
été assassinés dans des conditions épouvantables, décapités par des fanatiques
religieux islamistes. Il y a là Frère Luc qui soigne les pauvres du village voisin, Frère Amédée,
le doyen du monastère, voix de la sagesse, Frère Célestin qui recopie les
psaumes chantés lors des offices et bien sûr Frère Christian qui dirige la
communauté avec bienveillance mais également autorité. Trop d'autorité peut-être
parfois, ce qui lui vaudra un rappel aux règles basiques de la démocratie, qui
s'appliquent même entre les murs d'un monastère. Qui dit frère, dit fraternité. Et c'est bien là le coeur de ce film, au
sens figuré comme au sens propre, qui présente 2 communautés, la chrétienne et
la musulmane, vivant en parfaite harmonie dans ce petit bout d'Algérie. Un joli
tableau oecuménique que Xavier Beauvois brosse sans tomber ni dans le pathos ni
dans l'angélisme. Pas de pathos, car sur le thème du vivre ensemble et de la
fraternité humaine au-delà des croyances, il trouve le ton juste en permanence.
Il dessine une ligne claire sur laquelle on se laisse bercer sans la moindre
difficulté car elle fait tout simplement du bien au coeur. Pas d'angélisme non
plus, car l'humanisme s'accommode du facteur humain. Plongés dans l'horreur d'une
sanglante guerre civile, les moines ne veulent absolument pas être les
prochaines victimes sur la liste du GIA. Partiront ? Partiront pas ? La question
fait l'objet de nombreux conciliabules disséminés tout au long du film et elle
n'élude rien de leurs atermoiements, ni même d'une certaine lâcheté qui les
ferait quitter une population qui a pourtant besoin d'eux. Le doute instillé
chez ces hommes de foi est une superbe métaphore sur l'humilité de
l'humanité. Enfin du drame, on ne verra rien. Ou plutôt si. On ne verra que cette
allégorie qui parle d'elle même, les moines emportés par leurs bourreaux,
s'enfonçant dans l'obscurité d'un jour de neige. Rideau sur la tragédie, nous
savons tout ce qu'il y a à savoir sur ces 8 frères, et un peu sur nous. Michael Lonsdale trouve là l'un des plus beaux rôles de sa carrière. Son
inimitable phrasé colle parfaitement à la sérénité que dégage Frère Luc,
insouciant mais pas trop, solitaire mais fraternel. Il est aussi celui des 8 comédiens-moines le plus concerné par le sujet étant lui-même un catholique fervent et pratiquant. Mais il faudrait citer tous les autres tant chacun apporte sa pierre à cet édifice, à cette cathédrale de générosité.
Voila pour la réalité brute du drame de Tibhirine.
Celle que tout Français a vécu il y a un peu moins d'une quinzaine d'années. Il
faut bien l'avouer : tout ceci manquait cruellement de chair et d'humanité. Et
c'est bien là le mérite du film de Xavier Beauvois, celui d'avoir donné enfin
une incarnation à ces 8 visages, celui de nous présenter ce
que fut la vie de ces religieux, frères dans la solidarité puis dans un martyr
qu'ils n'ont pourtant jamais recherché.
Il est parfois des films qui résonnent à contre-courant total de leur époque et dont la caractéristique même fait leur beauté et leur succès. "Des hommes et des dieux" est de ceux-là. Le festival de Cannes, pour une fois, ne s'y est pas trompé.
Parmi les comédiens incarnant les moines de Tibhirine, Jean-Marie Frin. Né en 1949 à Caen, cet acteur a enfilé avec beaucoup d'émotion la robe de Frère Paul. Une expérience dont il sort transfiguré d'un point de vue humain. Nous l'avons rencontré le 4 septembre dernier au cinéma LUX de Caen lors de l'avant-première.